«
C'est bien cela: Une méningite. », annonce le médecin en regardant May s'endormir, l'organisme alourdi par les médicaments. Ses parents se regardent, inquiets: Ils se tiennent fort la main, comme pour éviter de lâcher prise. En réalité, ils essaient de ne pas se laisser submerger par la culpabilité et le doute. Ils se disent qu'ils ont été aveugles, incapables de voir que leur unique petite fille, âgée de cinq ans, était tombée malade. Au début ce n'était censé être qu'un petit virus, vestige du rude hivers qu'ils avaient eu à affronter cette année: Mais ça a empiré. Ca a été mal soigné et ça a pris une ampleur phénoménale. Aujourd'hui, May est allongée là, sur ce lit d'hôpital, endormie et combattant la méningite aussi fort que son petit corps et ses maigres défenses immunitaires le peuvent. «
Mais, elle va bien aller, n'est-ce pas? », demande alors Ellen Evans, la mère de May. Le médecin se détourne de sa patiente et soupire, en proie au doute. «
Je vais être sincère: Pour l'instant, rien n'est sûr. Elle est très atteinte pour le moment et nous venons à peine de lui transmettre le traitement adapté. Maintenant tout ce que nous pouvons faire, c'est attendre que ça fasse effet et voir. »
«
Attendre et voir? Mais c'est de notre petite fille qu'il s'agit! Nous ne pouvons pas simplement nous asseoir et la regarder souffrir! »
«
Je suis désolé. Je sais que c'est dur, mais nous n'avons pas d'autres solutions pour le moment. Si elle réagit positivement au traitement, tout devrait se passer assez rapidement. »
«
...Et si le traitement de marche pas bien? », demande le père de famille alors que sa femme s'affale dans le fauteuil près du lit, les yeux rouges. Le médecin soupire à nouveau.
«
Elle pourrait ne plus être pareil au niveau physique: Paralysie, perte de la vue ou encore de l'audition. Le virus s'attaque à son système et le problème est que nous ne pouvons pas savoir à l'avance si ça aura changé quoi que ce soit chez May. Nous devons attendre son réveil pour ça. »
Le couple resta complètement muet face à cette révélation. Sachant que c'estle moment pour lui de partir, le médecin s'excuse à nouveau et sort de la pièce, laissant les membres de la famille Evans, seuls.
May se réveilla le lendemain et passa une semaine entière à l'hôpital, sous étroite surveillance. En sortant, elle avait l'air d'aller déjà bien mieux, reprenait des couleurs, même si elle n'avait plus d'appétit. Elle n'eut aucun problème de paralysie et voyait parfaitement bien: D'ailleurs ses parents avaient même cru que la méningite n'avait fait aucun ravage...Mais ça, c'était avant que la petite May ne dévisage ses parents, surprise de voir leurs lèvres bouger sans rien entendre à part le vide. Le néant. En l'espace de quelques jours, elle était devenue totalement sourde.
~~~ ~~~
« Tu nous promet d'être gentille, d'accord May? »
La fillette hoche la tête. Du haut de ses neufs ans, elle a l'air de littéralement bouillonner de vie. Elle ne cesse jamais de sourire, de sautiller de partout et de faire des tas de bêtises. Le fait d'être sourde ne la dérange absolument pas et d'ailleurs, ça l'a fait se sentir spéciale: Elle seule sait signer, en plus de ses parents. Contre toute attente, May a adoré apprendre le langage des signes et a été assez rapide, pressée de connaître ce nouveau langage sur le bout des doigts. Malgré son handicap, elle a continué à parler, même avant de pouvoir réentendre provisoirement, grâce à ses appareils: En effet, ses parents avaient insisté pour qu'elle se fasse poser des implants cochléaires qui lui permettent aujourd'hui d'entendre. Ainsi, elle n'a jamais cessé d'être normale et se considérait juste comme une fillette avec un petit truc en plus.
Et aujourd'hui, même si elle est encore une enfant, elle sait que sa vie est sur le point de changer, d'être bousculée. Salomé, une cousine dont elle n'avait jamais entendu parler avant, va emménager chez elle. Sachant May fille unique, ses parents avaient une peur panique qu'elle réagisse mal face à la venue d'un nouvel enfant plus âgé dans sa maison, dans sa vie et dans sa famille: Sauf que c'est tout le contraire. Depuis qu'elle a appris la nouvelle, May est aux anges! Elle n'a jamais rencontré Salomé, mais cette perspective la réjouit et elle a même compté les jours!
Qui aurait cru ce fameux jour, que May serait en réalité la seule personne de cette maison à totalement accepter la venue de Salomé Evans?!
~~~ ~~~
«
Je crois que tes parents n'ont qu'une hâte: Que je me tire de chez vous! »
May dévisage sa cousine, les sourcils froncés. Puis elle soupire et secoue la tête avant de pointer un doigt en direction de ses oreilles. Comprenant immédiatement que May a en réalité retiré ses appareils, Salomé lui répète ce qu'elle vient de dire en signes. May lève les yeux au ciel.
'
Tu sais comment sont mes parents', signe-t-elle à son tour avant d'aller s’asseoir sur son lit.
Depuis l'arrivée de Salomé, il y a près de cinq ans, elles partagent la même chambre, ainsi qu'à peu près toutes les autres choses. Elles ne sont plus seulement des cousines, et ce depuis bien longtemps: Elles sont comme des soeurs et se disent tout. Très proches depuis le tout début, il est extrêmement difficile de les séparer plus de cinq minutes et elles ne peuvent que très difficilement passer une journée entière sans se voir ou se parler d'une quelconque manière.
'
Ils sont un peu...Coincés', poursuit May, l'air aussi dégoûtée que Salomé.
May adore ses parents, c'est un fait: Mais elle déteste lorsqu'ils se conduisent comme des abrutis face à Salomé. Eux seuls n'ont pas accepté le fait que la mère de Salomé l'abandonne pour partir avec un autre homme, peu après la mort de son mari.
'
Ils me font payer pour les erreurs que ma mère à commises. C'est injuste.', répondit silencieusement Salomé.
May ne put que lui adresser un regard compatissant et un sourire rassurant.
'
Laisse les penser ce qu'ils veulent! Crois-moi, ils ne sont pas blancs comme neige, eux non plus! Puis réfléchis, s'ils te détestaient tant que ça, ils ne t'auraient certainement pas laissée vivre ici pendant cinq ans.'
Ensuite elle se lève, voyant sa cousine faire la tête: May n'aime pas la voir dans cet état là, tout simplement parce qu'elle ne le mérite pas. Elle fait la moue et vient prendre sa cousine dans ses bras. Bien que la vie de famille ne soit pas géniale, qu'il y ait pas mal de tensions dans la maison, May est et restera le pilier de Salomé, le mur qui la protége de la douleur.
~~~ ~~~
«
Excuse-moi, je crois que mes appareils ne fonctionnent plus: J'ai cru entendre que tu m'annonçais que tu partais! »
May fixe Salomé, surprise. En réalité, elle essaie de se persuader qu'elle a en effet mal entendu et que sa cousine adorée ne vient pas de lui annoncer qu'elle allait s'en aller.
«
May, tu es la seule qui est capable de me comprendre, alors s'il te plait, ne m'en veut pas! Je dois absolument partir. »
«
Désolée, mais là non, j'ai réellement du mal à te suivre! Ta mère est partie, il y a des années! Elle t'as abandonnée, tu te souviens?! »
May ne veut pas particulièrement être dure envers sa cousine, au contraire: Elle veut simplement la protéger. May sait à quel point elle a souffert à cause de l'abandon de sa mère, et surtout du gros tas de mensonges qu'elle a laissé derrière elle. Ensembles, elles ont, il y a seulement quelques mois, percé les secrets de la famille Evans. May a été choquée d'apprendre que le père de Salomé n'était pas réellement son géniteur: Ce qui veut dire qu'elles ne sont pas réellement cousines, qu'elles n'ont pas le même sang. Et, alors qu'à l'époque, Salomé a cru que le monde entier lui mentait et lui tournait le dos, May est restée. Elle a tenu bon, toujours aux côtés de sa cousine, qui, liée par le sang ou non, restait un membre de sa famille. Voilà pourquoi aujourd'hui, elle a du mal a croire que Salomé veuille partir et la laisser seule.
«
Je suis désolée, May. Mais ça ne prendra pas longtemps, promis! Je reviens dans quelques jours! »
May soutient le regard de sa cousine et soupire finalement.
«
...J'aurais voulu venir avec toi. »
Seulement, âgée de seulement seize ans, May ne peut partir, et surtout pas sans l'autorisation de ses parents. Majeure depuis peu, Salomé peut, elle, se prendre totalement en charge.
Puis, après avoir promis à nouveau de se revoir bientôt, elles se serrent dans les bras. Salomé a toute la confiance de May, c'est certain...
Si elle savait à quel point elle se trompait.
~~~ ~~~
Les larmes aux yeux, May fixe sa main gauche. Ou plutôt, elle fixe l'anneau qui se trouve à son doigt: Il brille et scintille. Il est magnifique, mais elle ne peut apprécier sa beauté: Il l'effraie bien trop pour ça. Ses mains tremblent et elle ferme fort les yeux, faisant couler quelques larmes sur ses joues. Une main attrape la sienne et la serre: Elle se tourne alors vers Maxence qui a l'air tout aussi sous le choc qu'elle. Une alliance orne également son doigt, seul signe du lien maintenant si particulier qui les unit. Depuis quelques heures, ils sont mariés. Et pourtant, ils ne se connaissent absolument pas. Bien évidemment, ils se sont vus en cours, étant donné qu'ils partagent le même cursus scolaire, mais ne s'étaient jamais réellement parlé. Bien sûr, May l'avait remarqué, sachant que Maxence est quelqu'un d'intelligent et qu'il est surtout très beau: Mais elle n'a jamais osé aller le voir, un peu trop timide et incertaine pour ça. Pourtant, il a suffit d'un seul contact, alors qu'ils sortaient de l'amphithéâtre à la fin d'un cours, pour qu'il y ait l'étincelle. May a glissé, allait tomber sur le dos, mais Maxence l'avait rattrapée juste à temps: Une étreinte, un regard et voilà. Le soir même, ils échangeaient leurs vœux, leurs alliances et May Evans était devenue May Evans-Reynolds.
Puis, après s'être rendu compte de ce qu'elle venait de faire, la jeune femme de seulement dix huit ans a paniqué. Maxence aussi, de son côté, paraissait clairement surpris, mais c'était trop tard. Ils étaient mariés, qu'ils le veuillent ou non. Alors c'est en toute logique que May est allée trouver ses parents, les seuls certainement capable de trouver une solution. Seulement, elle ne savait pas qu'elle commettait la pire des erreurs. Son père était entré dans une colère noire et sa mère s'était mise à pleurer. Et le soir-même, May était fichue dehors, n'étant plus la bienvenue chez les Evans. Mais son père, influant, a tout de même pris ses précautions avant qu'elle ne parte et a pris soin de lui trouver un appartement, pour qu'au moins elle ait un toit au dessus de la tête: Depuis, elle y vit avec Maxence et tout deux sont bien décidés à tout payer eux même, grâce aux boulots qu'ils cumulent en plus de leur temps d'étude. May est mariée, n'y peut rien et est obligée de s'adapter. Pourtant elle est effrayée, parce qu'elle ne connait rien de son mari...Et lui ne connait rien d'elle.
May n'a jamais eu autant besoin de Salomé qu'en ce moment: Et d'ailleurs, sa cousine n'a pas donné signe de vie depuis des années et n'a répondu a aucun appels, ni aux messages. Elle a comme disparu de la surface de la terre.
Jamais elle n'aurait cru que sa cousine, qu'elle avait soutenu si fort par le passé, aurait été capable de l'abandonner comme ça. L'amour qu'elle ressentait s'est alors changé en colère, en frustration, puis petit à petit, c'est devenu une sorte de déception immense.
«
Ca va aller », dit Maxence. « On va trouver une solution. »
«
Et comment est-ce qu'on va faire ça, alors qu'on ne peut parler à personne de ce qu'on vit? »
Un autre trait de la malédiction qui les a touchés: Ils ne peuvent pas dire à qui que ce soit qu'ils se sont mariés, ou plutôt pourquoi ils l'ont fait. Cette envie irrésistible de s'engager, due à un sort qu'une femme éconduite a un jour lancé, est une sorte de secret que les couples ne peuvent divulguer. May ne s'est jamais sentie autant prise au piège. Même le fait d'être sourde l'effraie moins.
Pourtant elle sait qu'elle va devoir devoir s'y habituer. Il
faut qu'elle s'y habitue.
~~~ ~~~
«
Tu es certain d'être d'accord avec ça? », demande May à son mari, incertaine.
Maxence hausse les épaules et sourit légèrement.
«
C'est ta cousine. On ne peut pas la laisser à la rue. »
«
...Si on peut. Ce serait même plutôt facile! Il suffit de lui dire de dégager! »
May regarde son mari lever les yeux au ciel et secouer la tête.
«
Arrête un peu, May! Je sais que tu es rancunière, mais je commence à te connaître. Tu ne vas pas sérieusement pouvoir vivre en sachant que Salomé sa balade toute seule dehors en pleine nuit. »
Bon sang, c'est vrai qu'il commence à la connaître, depuis le temps! Voilà deux ans qu'ils sont mariés et aujourd'hui, tout est encore très compliqué. May s'est beaucoup attachée à lui avec le temps, sachant que Maxence est à peu près la seule personne qui lui reste étant donné que ses parents refusent de lui adresser la parole depuis vingt quatre mois.
Et voilà que Salomé revient, après tout ce temps, comme si May n'était pas déjà plongée jusqu'au cou dans les problèmes! Sa cousine a débarqué la bouche en coeur, souhaitant apparemment la revoir, prendre de ses nouvelles: Comme si May allait l'accueillir les bras ouverts!
Pourtant, Maxence a raison, et elle le sait...En colère ou non, May ne laissera jamais Salomé seule, et surtout pas dans Paradise. Après tout, il manquerait plus qu'elle croise un homme et qu'elle soit touchée également par la malédiction! Ce serait une catastrophe et May ne souhaite pas que sa cousine vive ça.
«
D'accord », cède finalement May, amère. « Elle reste, mais elle dort sur le canapé. »
«
Evidemment, elle ne va pas dormir avec nous! »
Alors qu'ils vivent dans un petit appartement, May et Maxence ont d'abord été comme des colocataires: Elle avait la chambre et lui le canapé. Puis au bout de quelques mois, elle l'a invité à venir avec elle, même si ce n'était pas dans le même lit. Aujourd'hui, sachant qu'ils partagent tout, ils se permettent plus de choses et dorment ensembles, sans aucun problème. Ou presque pas, on va dire.
~~~ ~~~
May a bien grandi. Aujourd'hui elle est une femme, est âgée de vingt ans, est mariée et sans enfants. Elle poursuit ses études d'architecture et continue de donner des cours de langage des signes le soir pour se faire un peu d'argent. C'est souvent assez dur a supporter, de vivre avec Maxence, d'être mariée, comme enchaînée. Pourtant, cette malédiction peut avoir du bon, parce que d'un autre côté, May ne s'est jamais sentie aussi libre et aussi épanouie.